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GALERIES

JEAN-MARIE STROOBANTS FAIT LE POINT

 

MURIEL DE CRAYENCOUR

 

27 OCTOBRE 2016

ART CONTEMPORAIN

Jean-Marie Stroobants est connu comme étant le fondateur de l'Office de l'Art Contemporain. On sait moins qu'il est aussi artiste. A voir pour le moment à la U Own Gallery au Rivoli Building, une série de propositions abstraites vibrantes et déroutantes.

Sur un fond grisé légèrement texturé – en s'approchant, on découvre que ce gris est un mélange de vert, bleu et parme – se promènent cinq petits cercles noirs et deux carrés. Sur un autre avec le même fond, une autre quantité de cercles et de carrés noirs. Voilà. Rien de plus et rien de moins. Cette folle simplicité, Stroobants la décline sur d'autres supports. Voyez ici les feuilles un peu transparentes qui servent de support aux étiquettes autocollantes. Celles-ci sont agrémentées de textes. Les bords des étiquettes sont encore là, rehauts un peu plus blancs. Un carré orange, un point noir. Le tout présenté à l'envers. L'envers de la feuille mais bien l'endroit de l'œuvre ! Dans l'escalier vers l'étage, une petite sérigraphie unique sur bois. Un cercle orange et quelques points.

Comment parler d'une œuvre qui n'est ni graphique ni précieuse, qui n'est pas bavarde et pourtant pas silencieuse ? Comment décrire cet extrême dépouillement qui rend l'œuvre riche ? Dire tout et se dire que tout est dit avec si peu de moyens, quelle gageure ! Et pourtant ça marche ! C'est intrigant, rythmé, on peut s'y plonger et même être ému. Détachées du temps, comme flottant dans l'espace, les œuvres de Jean-Marie Stroobants sont simplement là.

Jean-Marie Stroobants est né en 1952. Il est diplômé en architecture d’intérieur du Centre des Arts Décoratifs à Bruxelles. Il fut dessinateur de presse. Il expose depuis les années 1980, entre autres à la Médiatine, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, à l'Espace Flux à Liège, au Musée Ianchelevichi. Il a fondé le centre d’art Office d’Art Contemporain en 2004.

 

Jean-Marie Stroobants
U Own Gallery
Rivoli Building
690 chaussée de Waterloo
1180 Bruxelles
Jusqu'au 5 novembre
Du jeudi au samedi de 14h à 18h
http://u-own-gallery.com/

L’instabilité délibérée

 

Lorsque je regarde un dessin, une peinture ou une photographie qui me sont inconnus, je me soustrais à toute référence. Cette instabilité délibérée, c’est l’errance dans laquelle je vais seul, l’abandon dans lequel je me projette pour être, ici et maintenant, dans la perception et la lecture de l’image reçue. C’est aussi l’instant où se révèle une conjonction d’énergie, qui saura générer des émotions subtiles, profondes et imprévisibles. J’aime à découvrir ce qui est encore dans la marge et ne s’affiche pas sur les boulevards ou dans les couloirs du métro ; rencontrer les créateurs qui tous ont en commun de penser leur existence et de se consacrer aux états qu’ils traversent pour capter la vie dans son essence, qu’elle soit débâcle ou exultation.

 

En sondant notre monde que leur regard transcende, ces artistes nous instruisent sur la façon de voir ce qui seul importe. J’aime à partager la félicité de leurs créations pour qu’elle puisse rencontrer l’œil d’autrui. Un artiste contemporain a sa propre temporalité et toute œuvre, passée comme présente, peut être lue à différents niveaux. Par-delà les aspects formels et iconographiques, il est des allusions, des connotations personnelles ne demandant pas toujours une approche analytique. Si, face à l’art contemporain, nous éprouvons parfois un déficit de saveurs, nous le devons essentiellement à une rhétorique souvent vaine. La lecture d’une œuvre peut être aisée, quand cette dernière s’articule avec acuité et possède des qualités techniques et une rigueur formelle sachant s’adresser aux émotions esthétiques de chacun.

 

Plastiquement je suis né à l’âge de dix ans, telle la pointe d’un triangle isocèle formé, en ses côtés, par mes parents. Nous déambulions sur quelque digue de la côte belge, je ne sais plus trop laquelle. C’était en 1962. Soudain une affiche annonçant une exposition capta mon regard. J’interpellai ma mère, le segment gauche du triangle, avec l’injonction de nous y rendre, ce que nous fîmes aussitôt, mon père, le segment droit du triangle, demeurant sur le trottoir. J’en ressortis plongé dans une autre temporalité, vivant pour la première fois un choc visuel, une expérience esthétique qui m’avait soudainement extirpé d’une géométrie imposée pour me constituer à la première personne du singulier. L’art n’est pas immatériel ; il peuple la vie, éveille nos sens et fait sens. Il n’y a plus de piège.

 

En 1993, à Bruxelles, j’ai fondé le Cabinet d’Art Contemporain, rue Ernest Allard à Bruxelles, dans la cure de l’Église des Saints Jean-et-Étienne aux Minimes, où je résidais en tant qu’artiste peintre. Bien qu’à l’époque nous étions déjà en pleine crise financière, j’ai fait ce choix comme porté par une puissante énergie et par les plasticiens, leur présence à tout va et ce qu’ils nous donnent d’eux-mêmes. Et si l’incertitude leur est familière, beaucoup n’en demeurent pas moins fidèles à leur individualité singulière.

 

En 1997, une reconnaissance institutionnelle a permis au Cabinet d’Art Contemporain de devenir un centre d’art partenaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Sept années plus tard, devant quitter la cure de l’Église des Minimes, après une courte période de nomadisme, je fus invité à découvrir l’espace qui allait devenir l’Office d’Art Contemporain, rue de Laeken, dans le centre de Bruxelles. Ce changement de quartier et ce nouveau lieu, très singulier, ont engendré une programmation privilégiant des œuvres souvent créées in situ.

 

Aujourd’hui, je considère comme définitivement obsolète la question de la « ligne » de l’Office d’Art Contemporain. Il m’importe surtout que l’artiste ait défini la sienne propre et investi le noyau de « sa » terre. Quant à moi, même si la peinture reste ce continent de silence dont l’étendue m’est la plus proche, je ne privilégie aucune chapelle esthétique.

 

Finissons-en également avec cette conviction commune que l’artiste est essentiellement rêveur,  qu’il arpente des nuages délayés, étant attentif à sa seule langueur. Je n’en connais qu’investis et travailleurs, et dont émane en permanence une constance non démonstrative. Des créateurs dont la pensée, en sa pleine pertinence, nous conduit à demain.

 

Jean-Marie Stroobants - 2015

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