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Le point de départ de la peinture abstraite de Jean-Marie Stroobants pourrait sembler littéraire.

Et le départ, c'est le point.

Le point n'a pas de forme dans le sens intelligible du terme. Ni largeur, ni longueur, ni épaisseur

Il "est", tout simplement. Il est indivisible, il est infiniment la plus petite existence au monde. Sa linéature est conceptuelle : le point est un lieu au sein duquel on ne distingue aucun autre lieu que lui-même.

La peinture a une forme. Toujours. L'objet peint a besoin de structures, de formes, de limitations et d'ouvertures. C'est la construction de la peinture : des formes définies et non-définies. C'est le domaine du monde sensible de Platon *. La peinture pressent le monde des idées, celui que Platon définit comme la réalité réelle.

Quand Jean-Marie Stroobants peint un point, il a déjà visualisé radicalement une forme infinie, une idée, un objet de la pensée pure. Ce point présenté comme un cercle noir n'a ni début - ni fin mais a ses limites. Rigoureuses. Il rencontre l'espace. Il s'inscrit sur un fond bi-dimensionnel pour définir l'infini.

Le peintre intervient précisément ici. Jean-Marie Stroobants offre à ce point un espace différent, en même temps fini et infini. Sa touche picturale ouvre une troisième dimension : celle de la luminosité et de la transparence de l'air recherchées par les impressionnistes. Ses traits de pinceau, visibles avec leurs tonalités légères de couleurs subtiles, ouvrent une perception vers la lumière. Le point se trouve dans cet espace spatial et donc infini. Il est dans l'air, en plein ciel.

La peinture permet de donner une forme à l’espace infini, modèle de pensée et de réflexion. C'est ici une démarche platonicienne : cet espace pictural propose une idée intelligible au-delà du monde sensible des objets visibles.

Pour formuler l'espace infini et atteindre la rationalité il nous faut aborder la forme céleste. Une forme céleste simple et claire. Déjà les philosophes Parménide, Platon et Aristote avaient intégré l'idée d'une terre et d'un univers sphérique. A leurs yeux la voute céleste était ronde et au-delà il n'y avait rien. La limite ultime. Le cercle parfait. La forme du Dieu éternel des scolastiques, la fusion du Ying et du Yang chez les Chinois, la roue du dharma dans le bouddhisme. Jean-Marie Stroobants suit ses ancêtres et trace un épicycle.

 

Tel un démiurge, il l'offre. Les hommes ne dessinent pas de cercles parfaits. Les lasers le font. Pour se tenir au plus près de la pensée pure, il faut minimiser le doute humain. Au sein de ses compositions l’artiste utilise le champ magnétique des aimants sur l'acier, symbole de notre civilisation post-industrielle. Il a abandonné la toile et les châssis du siècle passé.

 

Les espaces déterminés ont leur vie dans le monde des images. Notre concept de réalité se construit autrement. Au-delà du Dieu des scolastiques, il y a autre chose. Dans les formes proposées par le peintre il faut voir ce qu'il y a au-delà de ces limites. Les minimalistes l'ont bien compris, ainsi que les peintres dans le registre pur. C'est ainsi que les objets peints par Jean-Marie Stroobants continuent leur vie à l'extérieur de leur espace pictural. Les cercles à la forme limitée donnent accès à une autre question : qu'y a-t-il au-delà de l'espace ? Il ne répond pas mais ouvre des possibilités de réponse. Les points continuent leur trajet avec leurs traces vers des univers hors limites, hors cadre. Certains objets sont présentés avec des signes et des symboles extérieurs. Ils cassent les limites de l'espace pour tendre à l'infini. Les points prisonniers des espaces peints se sont libérés et notre point de départ s'élargit vers l’univers infini de la pensée pure.

 

                                                                                                                                       Mikko Paakkola, juin 2017

  · cfr la « Théorie des Formes » de Platon qui propose que ce qui nous entoure concrètement n’est pas une 

    réalité absolue.

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